Ancien directeur général de l'Office de Gestion du Fret Multimodal en République Démocratique du Congo et actuel directeur général d'African Desk, une société qui conseille les entreprises et les gouvernements en matière d'économie des transports et d'intégration régionale, Patient Sayiba est de plus en plus critique vis-à-vis des différentes crises que traverse le Congo Kinshasa. Il passe tout au crible, de la gouvernance du régime actuel aux acteurs qui forment la coalition au pouvoir. Il estime que plusieurs choses sont à revoir.
Bien qu'il ne fasse pas officiellement partie du monde politique (ou pas encore), l'influence de cet expert en import-export se fait de plus en plus sentir, surtout auprès des jeunes. Cela explique en partie le fait qu'il ait reçu un doctorat honorifique en reconnaissance de sa contribution à la formation des étudiants de l'Université Libre des Pays des Grands Lacs à Goma, pas plus tard que le 22 avril dernier. Interrogé à ce sujet par CONGORASSURE.CD, Patient Sayiba, dont les compétences se sont développées au fur et à mesure de son parcours professionnel, ne cache pas sa satisfaction. Il évoque "un sentiment de gratitude et d'humilité pour cette marque d'honneur à sa modeste personne".
Sayiba insiste également sur le travail acharné, la recherche effrénée du bien-être social de tous et la justesse des motivations dans toute action. "C'est pourquoi je dois redoubler d'efforts, faire mieux qu'hier, et rester au service de la communauté dans sa diversité, et en particulier au service de la République Démocratique du Congo, mon pays à qui je dois tout. Mon pays a perdu ses repères et j'entends servir de référence à une génération qui ne définit la politique que par le mensonge et la méchanceté", dit-il.
“L'insécurité n'est pas seulement dans l'est du pays”
Avec la résurgence de la rébellion du M23, et la multiplicité des attaques d'hommes armés dans plusieurs régions du pays ainsi que l'insécurité grandissante dans plusieurs zones urbaines, Patient Sayiba déclare que le pays va très mal. "L'insécurité n'est pas seulement dans l'est du pays, il ne faut pas se tromper", affirme celui-ci.
Il souligne en outre la situation sécuritaire confuse qui règne dans les provinces qui forment la région du Bandundu, le banditisme urbain à Kinshasa, le tribalisme dans tout le pays, autant de signes, commente-t-il , de l'absence de l'autorité de l'Etat.
Le chef de African Desk appelle de ce fait à sauver la République, qu'il dit être en danger, et affirme que pour ramener la paix dans les zones où règne l'insécurité, les dirigeants devraient aussi penser à appliquer une "justice distributive". "Quand, par exemple, au Nord-Kivu, plus de 70% des affaires qui sont portées devant les cours et les tribunaux sont liées à des questions foncières, à des problèmes d'injustice, il est grand temps de lever des options cardinales pour restaurer la justice", explique-t-il , revenant dans la foulée sur l'importance de l'existence d'un véritable État de droit. “Cela n'a jamais été le cas et nous le savons. Il y a encore des gens qui sont au-dessus de la loi”
P. Sayiba soutient que lorsque les règles ne sont pas appliquées à tous, cela crée des frustrations et des conflits. “Lorsque le conflit perdure, cela crée la guerre”, explique-t-il.
“Un homme versatile est par essence bon à rien dans la société”
Concernant la classe politique congolaise actuelle, M. Sayiba est loin d'être tendre dans sa lecture. Il se demande ce que l'on peut attendre d'une classe d'acteurs politiques qui manque cruellement de cohérence. “Est-il vraiment compréhensible qu'une personne ait fait partie de plusieurs familles politiques au gré de ses intérêts et prétende le faire pour le peuple”, s'interroge-t-il, “J'avoue que je n'aimerais sincèrement pas être à la place des enfants de cette classe politique congolaise qui fait la honte”.
Il estime qu’un homme versatile est par essence bon à rien dans la société et partant incapable de la moindre transformation positive de son environnement. “Observez-les et jetez-les dans la poubelle de l'histoire. Quelle honte ce sera pour leurs familles, lorsqu'à leurs morts, au cours des oraisons funèbres, il sera mentionné leurs parcours honteux, marqués par la transhumance politique et l'inconstance philosophique”, dit-il, appelant la jeunesse congolaise “consciente et républicaine” à ne surtout pas prendre ces individus pour modèle. “Ne vous rangez pas derrière eux, laissez leurs familles les applaudir. Le salut de la RDCONGO dépend de notre attitude face aux anti-valeurs”.
Comme une autre alternative, Patient Sayiba, pour qui tous les leaders, qu'ils soient incompétents ou compétents, sont des produits de la société, appelle à une bonne éducation des enfants pour que lorsqu'ils grandissent et assument des responsabilités à n’importe quel niveau, qu’ils ne soient pas un scandale pour la communauté ou une source de malheur pour leurs semblables.
"Il est dans notre intérêt de nous ressaisir et de reconstruire notre pays dans l'harmonie et la cohésion nationales. Ne pas le faire, c'est hypothéquer dangereusement l'avenir des générations futures", affirme Patient Sayiba, qui soutient que tous les actes posés aujourd'hui auront des conséquences dans le futur.
"Si nous posons des actes patriotiques aujourd'hui, nos enfants pourront se reposer pendant longtemps, sinon ils paieront un prix très lourd pour notre mauvaise conduite en tant qu'élite. Que chacun d'entre nous fasse son choix en pensant à DRCONGO dans 100 ans", insiste-t-il.
Par ailleurs, il affirme que tout est à refaire dans tous les domaines, mais qu'il faut commencer par changer la mentalité de l’homme congolais. "Et quand on parle de mentalité, je vois l'éducation. Si les Congolais sont mieux éduqués, nous aurons certainement la République dont nous avons toujours rêvé", souligne-t-il.
“C'est à cause de la mauvaise gouvernance que notre économie n'est pas florissante”
Comme certains analystes avant lui, le numéro un d'African Desk critique également la situation socio-économique que traverse le pays. Patient Sayiba commente : “on nous parle d'un budget de 16 milliards, mais je vois que la situation économique et sociale du pays se dégrade de manière très inquiétante”. L'économie est à la fois une science et un art, rappelle-t-il, exhortant les autorités à changer leurs méthodes, qui sont manifestement infructueuses, ou à jeter tout simplement l'éponge et à laisser la place à ceux qui peuvent changer les choses.
En outre, M. Sayiba indique que les décideurs sont également à l'origine de l'économie chancelante de la RDC. "C'est à cause de la mauvaise gouvernance que notre économie n'est pas florissante", déclare-t-il, critiquant tout aussi sévèrement le budget du gouvernement, qu'il juge "honteux" car insignifiant par rapport aux diverses potentialités dont dispose la RDC.
P. Sayiba affirme que le gouvernement devrait également envisager de créer des emplois décents pour tous et de mettre fin aux inégalités socioprofessionnelles qui font de la classe ouvrière des sans-abri, tout en encourageant l'esprit d'entreprise. “Penser à augmenter significativement les salaires des travailleurs qui sont à la base de la production n'est pas impossible et pourrait être une source importante de motivation pour de meilleures performances dans un monde de plus en plus compétitif et changeant. Pour l'amour de Dieu et du peuple, les détenteurs du pouvoir doivent cesser de croire qu'ils sont les seuls à qui la République doit un traitement préférentiel en termes d'opportunités et d'avantages”, explique-t-il.
“Ce serait un crime de laisser les Congolais mourir de faim”
Patient Sayiba, qui compare le Brésil à la République Démocratique du Congo, estime que ce serait un crime de laisser la population congolaise mourir de faim alors que la République démocratique du Congo dispose d'une grande superficie, d'un sol et d'un sous-sol riches ainsi que de plus de 100 millions d'âmes aux intelligences diverses dans tous les domaines. Il n'est donc pas compréhensible que le peuple congolais croupisse dans la pauvreté, maintient-il.
Les projets d'infrastructures doivent être lancés, poursuit M. Sayiba, insistant sur le fait que cela doit se faire dans toutes les 26 provinces qui composent le pays. "Si nous lançons ces projets dans tout le pays et dans tous les domaines, y compris les chemins de fer, les routes, les infrastructures sociales de base, comme les écoles et les hôpitaux, je pense que la RDC va décoller et cela pourrait être aussi un élément qui favorise le retour de la paix", dit-t-il, soulignant au passage que cela pourrait également réduire l'exode rural qui n'est pas contrôlé à l'heure actuelle.