
Les hostilités auxquelles font face plusieurs femmes de la RDC et particulièrement celles qui vivent dans la partie Est, une région en proie aux conflits armés, attirent l'attention de plusieurs congolais.
Les artistes musiciens, slameurs et bien d'autres activistes se sont déjà mobilisés d'une manière ou d'une autre afin de ressortir les injustices que subissent les populations face à la guerre.
Parmi les multiples productions artistiques publiées en hommage de la femme congolaise, dans cet article www.congorassure.cd s'est penché sur «Jade»; un poème écrit par le slameur Mapson et chanté en collaboration avec sa collègue Luendo B.
Dans cette œuvre l'artiste peint le profil d'une fille du Kivu séquestrée et violée par les membres d'un groupe armé mais qui continue à se battre pour l'avenir de son fils, symbole d'un avenir meilleur.
JADE
Elle s'appelle Jade. Elle était tout enfant quand la guerre lui prit ses parents et ses frères, quand leur bourreau souilla son hymen innocent, quand on fit d'elle esclave en des terres minières ;
Dans d'immondes trous Jade a cherché du diamant, de l'or et du coltan pour un grand chef de guerre ; elle a vu des enfants tombés violemment sous la lame aiguisée du « roi de la carrière ».
Elle y vit le tourment, y respire l'enfer; depuis huit ans, elle est pour son bourreau l'esclave.
Elle inspire le soufre et l'expire : infâme air ; elle en devient malade et son état s'aggrave.
Souffrante, elle a grandi de sept ou de neuf ans ;
Le seigneur de la guerre a fait d'elle sa « femme ».
Elle n'a que quinze ans mais a vécu longtemps pour avoir supporté la torture et la flamme.
A six ans, on lui prit son honneur par le viol;
A sept ans ont fit d'elle esclave dans les mines ;
A quinze ans, menacée de finir sous le sol, de donner pour repas son corps à des vermines.
Le bourreau la transforme en un jouet de plaisir, d'elle tire profit, vend son corps, proxénète, à ses soldats ; et Jade a pu tout voir pâlir :
Elle en languit, en souffre, en pleure et en regrette.
Elle n'a pas choisi de vivre ce destin;
Elle aurait tant voulu quelqu'un qui la console,
Rencontrer le bonheur sur son scabreux chemin,
Aimer la vie, se voir étudier à l'école ;
Elle aurait tant aimé grandir, trouver l'amour ;
Elle aurait tant aimé se sentir un jour mère ;
Elle aurait tant voulu voir se lever le jour :
Elle reçoit du sort la nuit et la misère.
Et, comme le malheur n'arrive jamais seul,
Jade, la disgraciée, sent augmenter sa crainte;
Son cœur bat à tout rompre. Elle boit du tilleul,
Elle en vomit, puis tombe. Elle est, certes, enceinte.
« Enceinte, je le suis. », se dit Jade un instant.
Au fond d'elle, elle pense à sauver l'innocence ;
Elle pense comment s'en aller loin du camp
Sans être repérée. Elle pense en silence.
Elle rêve sauver la vie qu'on lui vola,
En conservant l'enfant dont la Cohorte est père ;
Elle veut retrouver l'amour qui s'envola,
Avec la mort des siens égorgés dans la guerre.
Au milieu de la nuit, Jade discrètement
Se sauve loin du camp, elle part silencieuse ;
Dans la brousse, elle fonce ; et tout en tâtonnant
Le vent et la pluie glacent la malheureuse.
Pendant des mois, elle erre au fond de la forêt.
Jour après jour le ventre augmente, augmente encore ;
Jade mange de l'herbe, et des fruits ; elle irait
Jusqu'à calmer sa faim pour réveiller l'aurore;
Six mois sont passés, Jade a mal à l'abdomen,
Tout pèse lourdement et ralentit sa marche,
Elle veut enfanter comme Eve au sombre Eden;
Intense est la douleur qu'elle mâche la parche.
Elle accouche d'un fils qui bruyamment vagit ;
De loin, on peut l'entendre. Il pleure ! Il pleure ! Il pleure !
Affaiblie mais heureuse, elle le tient et dit:
«Je te protégerai jusqu'à ma dernière heure.»
Jade couchée sur l'herbe a l'enfant sur son cœur.
Intuitive, elle tient une feuille tranchante
Et coupe le cordon ombilical: Douleur.
L'enfant pleure, il s'écrie. Que fait Jade ? Elle chante.
Le bonheur d'être mère attendrit la douleur.
Jade donne du lait au nouveau-né qui tète ;
Elle sourit d'avoir donné vie au bonheur
Avec ce tendre enfant qu'elle aime et qu'elle allaite.
Elle oublie un instant l'enfer qu'elle a vécu ;
Ayant le paradis qui dort sur sa poitrine ;
Elle oublie ses tourments, son cœur est convaincu
De revivre en ce fils : la rose après l'épine.
Le ciel s'assombrit quelques nuages gris
Couvrent le beau soleil ; autour tout devient sombre.
Le nourrisson s'éveille et laisse aller ses cris,
Il a peur de la pluie, de la brise et de l'ombre.
Débout, Jade s'avance et cherche du regard
Un abri pour l'enfant, un endroit plus tranquille
Pour elle aussi. Comment affronter le grand soir ?
Jade presse les pas pour trouver un asile ;
Les tonnerres se font entendre, les éclairs
Déchirent le ciel, une pluie diluvienne
Tombe sur la forêt ; Et Jade fend les airs
D'un cri parlant au ciel : « Ta douleur n'est plus mienne ? »
«Je suis née dans le sang, tu m'as laissée grandir ;
Ils ont pris ma famille, et tu me laisses vivre ;
Ils m'ont volé l'hymen, tu les laisses partir;
Ils m'ont donné ce fils, prends-le ! Je te le livre. »
«Il est fruit de la nuit, je ferai de lui jour ;
Il est né de la honte et de la violence ;
De la haine il est né pour qu'éclose l'amour,
L'humanité sera la vie de sa conscience.»
«Je n'ai pas refusé de porter cette croix,
Je n'ai pas refusé de porter cette vie ;
J'ai lutté pour qu'il vive et accepté ce choix qui n'est pas mien, ce choix qu'un autre planifie.»
Jade, parlant, le ciel s'éclaircit à sa voix,
L'intempérie se calme, et les rayons solaires
Redonnent lumière et chaleur à la fois :
L'espoir nait de la cendre, et sa paix nait des guerres.
Et Jade avancera pour que vive l'enfant,
Et Jade avancera le plus longtemps possible ;
Elle ira défier la pluie et le vent,
Elle ira loin gardant l'humanisme pour cible.
Elle s'appelle Jade. Elle est le vrai profil
De la femme de l'Est et de la Congolaise,
Elle a subi ce choix qui n'est pas sien. Qu’y-a-t-il ?
Elle a perdu sa paix, Elle a perdu son aise.
On la viole, on lui prend sa vie et son honneur ;
On lui prend ses parents, ses frères, sa famille ;
On fait d'elle l'esclave, on lui prend le bonheur,
Elle ne connait pas le charme d'être fille ;
Femme forte, elle lutte ! Elle avance et combat !
Elle dit sa douleur et plaide pour sa cause ;
Elle porte la vie en elle, c'est la loi.
Elle s'écrie pour voir s'éclore un temps plus rose.
Certes, elle vaincra ! Le Ciel lui répondra :
«A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »
Elle vit le péril, et donc triomphera;
Son combat pour ses droits finit à la victoire.
VITEGHE VOLONTE Mapson
Connu sous le nom de Mapson, Viteghe Volonté est un artiste slameur originaire la ville de Butembo au Nord-Kivu. Il écrit les vers depuis plus de dix ans et dispose aujourd'hui de plusieurs œuvres écrites, et audiovisuelles. Dans ses multiples poèmes il prône la paix, la justice et le respect des droits de l'homme. Il préside un groupe artistique dénommé « Plume d'Or» dans lequel sont encadrés des jeunes poètes à Butembo et à Beni.
Nicole Lufungi, Beni