
RDC : Il est paradoxal que les affrontements continuent alors qu’il y a des médiations entre les parties en conflit (Fabrice Mulwahali)
De la poursuite des combats entre les forces armées congolaises et les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda, à la suspension de plusieurs accords avec le Rwanda par le gouvernement congolais, en passant par la projection du documentaire » la voix des oubliés » immortalisant le sit in des élèves de Beni à l’hôtel de ville en avril 2021, la semaine s’est écoulée par l’annonce du déploiement d’une force régionale pour éradiquer les groupes armés qui terrorisent les populations de l’est de la RDC. Fabrice Mulwahali, défenseur des droits de l’homme et avocat de la paix basé à Beni au Nord-Kivu, revient sur les grandes nouvelles qui ont marqué cette semaine.
Congorassure.cd : M. Fabrice Mulwahali, bonjour, pouvez-vous nous parler brièvement de votre carrière ?
Fabrice Mulwahali : Je m’appelle Kambale Mulwahali Fabrice, je suis diplômé en droit public, activiste et défenseur des droits humains à travers le mouvement citoyen Lutte pour le Changement. Je suis chargé des affaires juridiques et de la résolution des conflits au sein du bureau d’études des relations internationales en RDC (Bearic).
Congorassure. cd : La poursuite des combats entre les forces armées de la RDC et l’armée rwandaise dans le territoire de Rutshuru au Nord-Kivu malgré la médiation menée par les présidents kenyan et angolais, quelle est votre lecture ?
Fabrice Mulwahali : Il est paradoxal de constater qu’il existe des bons offices entre les belligérants du conflit et que les affrontements continuent. Dans le cas d’espèce, l’Etat victime doit prendre ses responsabilités les plus nécessaires pour préserver la survie de son peuple et l’intégrité de son territoire !
Congorassure.cd : L’armée ougandaise est soupçonnée d’avoir facilité la prise de la cité de Bunagana, pendant ce temps la mutualisation des forces FARDC-UPDF se poursuit à Beni, qu’en dites-vous ?
Fabrice Mulwahali : L’accusation de l’implication de l’armée ougandaise dans la prise de la ville de Bunagana par l’ennemi n’est certainement pas surprenante car depuis plusieurs mois, depuis l’arrivée des troupes ougandaises sur le territoire congolais dans le cadre de la traque des ADF, rien n’a pu arrêter ce cycle infernal de tueries de civils entre les territoires d’Irumu et de Beni, Il est donc possible d’affirmer que l’Ouganda a des intérêts cachés derrière ces opérations et qu’à un moment donné, ils se rejoignent et s’associent à ceux des Rwandais, profitant ainsi de la naïveté et de l’imprudence diplomatique du gouvernement congolais.
Congorassure.cd : Après avoir suspendu les vols de Rwandair sur le territoire congolais, l’État congolais vient de geler tous les accords conclus avec le gouvernement rwandais, que pensez-vous de cette situation ?
Fabrice Mulwahali : Toutes les décisions de rétorsion auxquelles le gouvernement congolais a eu recours, notamment la suspension des vols de Rwandair et la suspension des accords, font partie des mesures prises en vertu du droit international public, mais elles sont insuffisantes comme mesures à prendre pour anéantir un ennemi déterminé et préparé !
Congorassure.cd : Multiplicité des manifestations populaires de soutien aux FARDC dans plusieurs provinces du pays et même au Nord-Kivu, province en état de siège, que devient la mesure interdisant toute forme de manifestation pendant cette période exceptionnelle de l’état de siège ?
Fabrice Mulwahali : Tolérer ces manifestations sur tout le territoire de la République, même dans les agglomérations en état de siège, est le résultat de l’impréparation du gouvernement et de l’inadaptation de certaines mesures comme celle du décret de l’état de siège, même si les manifestations ne résoudront rien de concret, elles sont quand même porteuses de messages ! Elles doivent également aboutir à la libération de tous les citoyens précédemment arrêtés pour avoir dénoncé l’inefficacité de l’état de siège.
Congorassure.cd : Le 18 juin, la journée contre les discours de haine a été commémorée. Pendant ce temps, en RDC, la tension monte entre certains groupes ethniques suite à la nouvelle agression du Rwanda.
Fabrice Mulwahali : Les discours de haine sont trop souvent le résultat d’une intolérance qui est cristallisée par certains faiseurs d’opinion, leaders politiques, cependant le peuple doit cesser de céder à cette pratique car la haine ne fait qu’engendrer la haine, il est possible que les politiciens aient des intérêts contraires à ceux du peuple, une raison de plus pour éviter de généraliser chaque fois que nous portons un jugement ou une analyse… ! Kagame peut faire la guerre au Congo pour des calculs politiques mais sans que le rwandais lambda ne soit content….
Congorassure.cd : Célébration jeudi 16 juin de la journée de l’enfant africain, à Beni les jeunes ont immortalisé les 7 jours de sit in des élèves devant la mairie en avril 2021. Une manière pour eux de perpétuer leur propre histoire, qu’en dites-vous ?
Fabrice Mulwahali : C’est avec un grand plaisir que nous avons visionné le documentaire des jeunes écoliers sur le sit-in qu’ils ont tenu en 2021 devant la mairie pour réclamer la paix.Cela s’inscrit dans la logique d’écrire leur propre histoire, de faire leur part dans le processus de pacification de la région mais aussi d’inspirer les autres à s’approprier la lutte contre l’insécurité.
Congorassure.cd : Il est probable qu’une force régionale soit déployée pour éradiquer les groupes armés qui sévissent dans l’est de la RDC, le Rwanda se dit également prêt à envoyer ses troupes pour la cause, quelle est votre position ?
Fabrice Mulwahali : L’expérience montre que malgré l’arrivée d’une unité kenyane, ougandaise, en dehors des troupes onusiennes qui sont déjà là depuis des décennies, toutes ces opérations n’ont rien apporté comme solution, pire encore un projet d’ajouter des unités rwandaises déjà accusées d’avoir une part de responsabilité dans la résurgence de l’insécurité au Nord-Kivu serait se moquer du peuple congolais !
Congorassure : Un dernier mot ?
Fabrice Mulwahali : La classe politique congolaise et le peuple congolais doivent tous avoir la même vision du pays, la même vision, le même degré d’amour et de réalisme pour l’émergence de la nation. Et rappelez-vous toujours qu’en politique il n’y a pas d’état ami, seuls les intérêts comptent, en tout et pour tout mettons en avant les intérêts du grand Congo !